Qu’est-ce que la responsabilité élargie du producteur?
Les textiles représentent un pourcentage stupéfiant des déchets mondiaux. Vous avez peut-être entendu les statistiques :
92 millions de tonnes des 100 milliards de vêtements produits chaque année se retrouveront dans des sites d’enfouissement la même année.
L’Américain moyen jette 81,15 livres de vêtements par année.
L’industrie, telle qu’elle est, est soutenue par le modèle de l’économie linéaire selon lequel les produits suivent un modèle de « prendre et fabriquer des déchets ». Les experts affirment que pour nous éloigner de ce modèle destructeur de production, de consommation et d’élimination, nous devons adopter une approche différente, à savoir une « économie circulaire ».
Qu’est-ce qu’une économie circulaire?
Dans une économie circulaire, les intrants de matières premières et les déchets sont limités. Les produits circulent dans l’économie par le biais de la réutilisation et du recyclage pour créer un système qui ressemble davantage à une boucle fermée.
(L’économie circulaire de la mode (FTA, 2024))
L’un des principaux obstacles à la mise en œuvre des principes de l’économie circulaire est le décalage entre le début et la fin de vie d’un produit.
À l’heure actuelle, les producteurs et les détaillants fabriquent et vendent leurs produits, puis, pour la plupart, renoncent à toute responsabilité à leur égard. Il n’y a pas de réglementation en place pour s’assurer que ces produits demeurent utilisés et ne sont pas simplement éliminés. Pour les textiles, cela signifie que la responsabilité incombe aux consommateurs et aux organisations indépendantes des producteurs d’origine, comme les friperies ou les plateformes de revente. Cette gestion ne concerne généralement que les textiles qui conservent une valeur marchande élevée (vêtements usagés qui sont encore en bon état et désirables) et qui peuvent soutenir les activités des entités. Ce décalage – et le manque de responsabilité – appuient le modèle linéaire.
C’est là que la responsabilité élargie du producteur (REP) entre en jeu
La responsabilité élargie des producteurs (REP) est un outil politique qui exerce des pressions sur les producteurs pour qu’ils assument la responsabilité de l’ensemble du cycle de vie de leurs produits (y compris la gestion de la fin de vie). Dans le cadre des programmes de REP, les producteurs deviennent responsables de la collecte et de la transformation de leurs produits une fois qu’ils ont subi leur premier cycle d’utilisation. La REP met en œuvre un cadre financier pour rendre la gestion réalisable pour tous les textiles mis au rebut et est considérée par la Fondation Ellen MacArthur comme « un élément nécessaire de la solution pour parvenir à une économie circulaire pour les textiles ».
En général, les programmes de REP offrent aux producteurs et aux détaillants deux options : (1) soit ils doivent établir leur propre système de collecte et de transformation des produits, soit (2) ils doivent adhérer à un organisme de responsabilité des producteurs (RAP). Un PRO facilite un programme de collecte pour plusieurs producteurs. Il s’agit généralement d’un organisme à but non lucratif dont les activités sont financées par les frais payés par les producteurs.
Les objectifs d’un programme de REP concernent non seulement la gestion de la fin de vie, mais aussi l’incitation à la conception circulaire dès le début, en encourageant les producteurs à réfléchir à la conception de ce produit et en les incitant à le développer en gardant à l’esprit un impact moindre, une durabilité et une circularité plus faibles dès le départ. Souvent, des « structures de frais écomodulées » sont également intégrées au programme, selon lesquelles si un produit est fabriqué dans un souci de durabilité (par exemple, un vêtement fabriqué avec 50% de contenu recyclé), un producteur recevra un rabais sur les frais. Les structures de frais associées à la REP sont généralement utilisées pour financer un secteur de la logistique inverse pour la transformation des produits post-consommation, un élément crucial de tout système circulaire.
* Le secteur de la logistique inverse fait référence à l’étape de la chaîne d’approvisionnement où les produits et les matériaux sont retournés aux producteurs et aux fabricants et retraités, pour être recyclés, réutilisés ou éliminés.
Défis de la REP
Mise en œuvre : La mise en place de systèmes EPR efficaces peut s’avérer complexe et coûteuse.
Participation au marché : Il peut être difficile de s’assurer que tous les producteurs participent, surtout avec les chaînes d’approvisionnement mondiales.
Comportement des consommateurs : Changer les habitudes des consommateurs en ce qui concerne l’utilisation et l’élimination des vêtements nécessite une formation continue.
La clé pour surmonter les défis associés à la REP est un cadre législatif efficace et réfléchi.
Histoire de la REP – D’où cela vient-il?
Historiquement, la REP a été plus visible dans l’industrie de l’emballage. Lorsque vous achetez un paquet de six boissons gazeuses ou de bière, vous pouvez retourner les canettes à un dépôt de recyclage et recevoir un remboursement. Ce système est facilité par un programme de REP, plus précisément un système de consigne (SRD). En moyenne, le SRD récupère 90% des contenants, ce qui en fait un outil très efficace pour promouvoir la circularité. Le graphique ci-dessous de la Fondation Ellen MacArthur illustre la différence entre les taux de recyclage dans les pays avec et sans REP.
REP au Canada
Bien que le gouvernement fédéral canadien ait consulté des organisations comme Fashion Takes Action (FTA) et la National Association for Charitable Textile Recycling (NACTR) sur les volumes de flux de textiles et la faisabilité du recyclage au Canada, aucun plan concret n’est en cours pour le mettre en œuvre. En 2019, le gouvernement a publié le Plan d’action pancanadien pour zéro déchet de plastique et a depuis publié un guide pour « faciliter des politiques et des programmes cohérents de responsabilité élargie des producteurs pour les plastiques »
Chaque province canadienne gère ses propres programmes de gestion des déchets, et certaines provinces ont mis en œuvre la REP. La Colombie-Britannique, par exemple, a actuellement des programmes en place pour les batteries de véhicules hybrides et électriques et d’autres types; matelas et sommiers; plus d’appareils électroniques; et les produits modérément dangereux (p. ex., objets tranchants médicaux, boîtes à usage unique). Ils évaluent également la gestion de l’emballage et du papier industriels, commerciaux et institutionnels (IC&I) comme un domaine futur à réglementer. Cependant, aucune province n’a encore coordonné un programme complet de gestion des textiles.
REP à l’échelle mondiale
Bien que de nombreux pays aient mis en œuvre des politiques de REP pour d’autres secteurs, peu d’entre eux ont un programme pour les textiles. En Europe, cela est sur le point de changer. En février 2024, l’Union européenne a adopté une proposition visant à rendre la REP obligatoire dans les États membres. Les pays ont 18 mois à compter de l’adoption pour mettre en œuvre la nouvelle réglementation pour les producteurs (juillet 2025). De plus, ils ont jusqu’en janvier 2025 pour mettre en place un système de collecte séparée pour le traitement des textiles (par le biais de la réutilisation, de la préparation pour le recyclage et du recyclage). La figure ci-dessous de la Fondation Ellen MacArthur cartographie les endroits où les systèmes de REP textiles existent actuellement et sont proposés.
Examinons de plus près certains de ces pays...
France
La France a prouvé qu’elle était une pionnière dans ce domaine. En 2007, ils sont devenus le premier pays à mettre en œuvre un programme de REP obligatoire pour les textiles. Le cadre de ce programme est le suivant :
Tous les fabricants, importateurs et distributeurs doivent soit adhérer à un PRO, soit mettre en place un programme de reprise approuvé par l’organe législatif (par exemple, H&M a son propre programme de reprise). Le principal PRO est Refashion, responsable de 95% du marché avec plus de 4000 membres inscrits. Refashion facture des frais aux marques et aux détaillants qui couvrent les coûts de réutilisation et de recyclage. La structure des frais est basée sur le volume et la taille des unités que l’entreprise a mises sur le marché l’année précédente.
Il existe quatre catégories pour les vêtements (très petit, petit, moyen et grand) et deux pour les chaussures (petit et moyen). Refashion gère environ 44 000 points de collecte à travers le pays dans les espaces publics (marchés, centres commerciaux, places de stationnement, organisations caritatives, etc.). Les textiles collectés sont triés puis revendus, donnés, recyclés et/ou exportés.
Pays-Bas
En 2023, les Pays-Bas ont également introduit un programme de REP par le biais du « décret néerlandais REP ».
En vertu du décret, les producteurs et les importateurs doivent déclarer leur volume prévu de textiles à mettre sur le marché, créer un système de collecte des textiles mis au rebut et traiter des pourcentages donnés des textiles pour le recyclage et la réutilisation respectivement. Un autre pourcentage de cette fraction doit également être réutilisé aux Pays-Bas.
Il y a deux PRO que les producteurs peuvent choisir de rejoindre, Stichting UPV Textiel et la Plateforme européenne de recyclage. Le gouvernement s’est fixé des objectifs croissants pour le volume de textiles récupérés.
Cibles :
D’ici 2025, les producteurs doivent transformer 50% (75% d’ici 2030) du poids total vendu de l’année précédente pour le réutiliser ou le recycler.
Au moins 20% (25% d’ici 2030) doivent être réutilisés et 10% (15% d’ici 2030) doivent être réutilisés aux Pays-Bas
D’ici 2025, 25% (33% d’ici 2030) de toutes les fibres textiles provenant de produits textiles mis au rebut doivent être utilisées dans le recyclage de fibres à fibres pour les nouveaux produits.
Hongrie
La Hongrie a également établi un EPR pour les textiles en 2023. Leur programme est basé sur les rapports et les frais. Tous les producteurs et importateurs (y compris le commerce électronique) sont tenus de s’inscrire auprès de l’Autorité nationale de gestion des déchets de l’Inspectorat national de l’environnement et de la nature (NWMD), puis de s’inscrire auprès du PRO du pays, MOHU Mol Hulladékgazdálkodási Zrt. (MOHU). Les entreprises paient des frais trimestriels en fonction de la catégorie ou de la quantité de biens qu’elles produisent. Une taxe fixée par le gouvernement est calculée en fonction du poids d’un article donné multiplié par le facteur de frais. Les producteurs font rapport trimestriellement sur la quantité de produits fabriqués.
Lettonie
La Lettonie est le dernier pays à mettre en œuvre la REP pour les textiles. Les producteurs et les importateurs (y compris le commerce électronique) qui mettent des textiles sur le marché letton doivent maintenant payer une taxe sur les ressources naturelles (TRN). La taxe est de 0,5 EUR par kilogramme de produits pour financer la transformation et le recyclage des textiles.
États-Unis : Californie
L’État américain de Californie a fait des vagues le mois dernier lorsqu’il a adopté le projet de loi SB-707, la California Responsible Textile Recovery Act. En vertu du projet de loi, les producteurs doivent former ou adhérer à un PRO qui mettra en œuvre un plan d’intendance complet pour la collecte et la transformation des produits. Le PRO doit également établir un programme d’éducation à l’échelle de l’État pour éduquer les consommateurs et encourager la participation au programme de collecte. Pour plus de détails sur ce projet de loi et ses répercussions, consultez notre Mémoire de l’industrie sur le projet de loi SB-707.
Limites de la REP
Les systèmes nationaux de REP sont un outil efficace pour créer une économie plus circulaire. Il existe toutefois des limites à la REP en raison des limites actuelles dans le secteur de la logistique inverse.
Dans de nombreux cas, la technologie de recyclage n’est pas évolutive dans la mesure où elle devrait l’être pour soutenir un programme national. Les programmes de EPR pour les textiles collectent et traitent les textiles mis au rebut, en veillant à ce que ces textiles ne finissent pas dans un site d’enfouissement. Ce qui se passera après, cependant, peut recommencer à reproduire le modèle de l’économie linéaire. Plus particulièrement, une pratique courante consiste à exporter les textiles transformés vers d’autres pays, ce qui déplace le fardeau et exerce une pression inutile sur les systèmes de transformation et d’élimination d’autres pays, sans compter que bon nombre des pays qui reçoivent ces textiles n’ont pas l’infrastructure nécessaire pour gérer correctement les volumes de textiles qui arrivent dans leurs ports.
Même la France, citée comme exemple de ce à quoi peut ressembler une REP textile efficace, exporte jusqu’à 80% des textiles collectés. Certaines organisations, comme la Fondation Or au Ghana, s’efforcent de remédier aux injustices perpétuées par ce déchargement. Cependant, pour que la REP soit vraiment efficace et qu’elle incarne les principes de l’économie circulaire, cette question doit être abordée au niveau systémique. De toute évidence, il est nécessaire d’étendre la responsabilité transfrontalière à l’échelle internationale. Tout comme les producteurs ont une responsabilité à l’égard de leurs produits, les pays où ces produits sont fabriqués, vendus et éliminés devraient en faire autant.
La responsabilité élargie des producteurs pour les textiles est une étape clé sur le chemin de la circularité. En tentant de minimiser l’impact environnemental et en favorisant la responsabilité des producteurs, il peut changer non seulement les pratiques d’élimination des déchets, mais aussi les perspectives sur les « déchets » et notre culture de l’élimination jetable. Si nous pouvons surmonter les défis liés à la mise en œuvre et innover des solutions créatives pour la fin de vie, nous commencerons à nous diriger vers un modèle d’industrie plus responsable et durable où il deviendra clair que prendre soin de la planète est rentable.
À PROPOS DE L’AUTEUR
Rebekah Stokes | Coordonnateur de programme, La mode passe à l’action
Rebekah Stokes est coordonnatrice de programme à FTA. Étudiante en développement mondial, sa passion réside dans la création de solutions concrètes à des problèmes complexes. Elle travaille à faire pivoter les systèmes actuels vers un avenir plus juste et durable. Lire la suite...